H+ Palais fédéral 2/2023

Éditorial

En 2022, les hôpitaux et les cliniques ont presque tous soigné davantage de patients que l’année précédente. Nombre d’institutions ne sont pas parvenues pour autant à couvrir leurs coûts. La structure tarifaire et les mécanismes de financement doivent être repensés.

Le système de financement en vigueur dans la santé et les bases légales qui le sous-tendent sont conçus de manière à faire jouer la concurrence entre les hôpitaux. Les établissements sont indemnisés via un prix de base (Baserate) qui repose sur un Benchmark. Ce dernier doit être déterminé de manière appropriée sur la base de comparaisons nationales entre les établissements et de sorte que les hôpitaux qui fournissent la prestation dans la qualité nécessaire, de manière efficiente et avantageuse puissent couvrir leurs coûts. Or, il apparaît aujourd’hui qu’avec le Benchmark fixé (politiquement), seule une petite partie des hôpitaux y parvient effectivement avec les tarifs qui en découlent.

Il convient donc d’agir sur le financement des prestations ambulatoires et stationnaires. Dans ces deux domaines, la couverture des coûts est insuffisante. En ambulatoire, en particulier, le manque est de 30%. Quant aux caisses maladie, elles n’ont pas non plus intérêt à pousser leurs assurés vers l’ambulatoire puisque, dans ce secteur, elles prennent en charge la totalité des coûts. Il y a donc des incitations économiques indésirables poussant à réaliser les interventions en stationnaire. Débattu actuellement au Parlement, le financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires pourrait enfin remédier à ce problème.

D’évidence, il faut passer à l’action. Les milieux politiques, les assureurs, les cantons et les fournisseurs de prestations doivent le faire ensemble. H+ souhaite vivement contribuer à la recherche de solutions en commun.

Regine  Sauter

Regine Sauter

Présidente, conseillère nationale

Les hôpitaux ont besoin d’un financement adéquat

S’ils veulent garantir les soins de santé de demain, les hôpitaux et les cliniques doivent disposer de tarifs corrects. Une adaptation prospective au renchérissement constituerait un premier pas afin qu’ils puissent continuer de fournir des prestations de qualité et en temps utile.

Les hôpitaux et les cliniques ont connu bien des années difficiles. Avant même la crise du COVID-19, le manque de financement se faisait déjà de plus en plus cruel. Aujourd’hui, dans le secteur ambulatoire, 30% des coûts ne sont pas couverts. En stationnaire, le déficit est de 10%. L’inflation et la pénurie de personnel viennent encore noircir le tableau. En cause: des tarifs trop bas, l’absence de volonté de les adapter à l’inflation de manière prospective ainsi qu’une demande accrue en prestations médicales de la part de la population.

Avec la mise en œuvre de l’initiative «Pour des soins infirmiers forts», un grand projet attend les hôpitaux et les cliniques. Le secteur nourrit l’ambition de former davantage de main-d’œuvre et plus encore de fidéliser son personnel soignant. Pour ce faire, l’initiative table avant tout sur l’amélioration des conditions de travail et de la planification des missions. Or les directions des hôpitaux n’attendent pas que le Parlement et les autorités leur prescrivent des mesures. Ils testent aujourd’hui déjà de nouveaux modèles, à l’instar du GZO Spital Wetzikon (lire «Travailler moins pour le même salaire dans le secteur des soins: une illusion?»). Mais de tels modèles qui, rappelons-le, améliorent la satisfaction au travail, ne pourront pas être pérennisés sans moyens financiers suffisants.

Pour continuer de fournir des soins médicaux de base et spécialisés aux patients, les hôpitaux et les cliniques doivent disposer d’un financement correct. Une hausse de 5% des tarifs ainsi que leur adaptation prospective au renchérissement constitueraient déjà un bon début.

Numérisation

Améliorer les conditions-cadres et les bénéfices pour les fournisseurs de prestations

Le potentiel de la numérisation est vaste et essentiel pour relever les défis posés au système de santé. Ainsi, l’introduction de l’ordonnance électronique contribuerait à la généralisation du dossier électronique du patient (DEP). Et le renforcement du bénéfice et des compétences numériques chez les professionnels serait favorable à la collaboration. H+ estime avant tout que les mesures doivent être appréhendées de manière intégrée.

Les élus placent de grands espoirs dans la numérisation de la santé. En témoignent les différentes interventions à ce sujet soumises aux délibérations des conseils – en particulier les motions d’Andri Silberschmidt en vue d’un Renforcement des compétences numériques chez les professionnels de la santé (22.3163 n) et de la présidente de H+, Regine Sauter, en faveur d’une Introduction de l’ordonnance électronique (20.3770 n) qui sont traitées au Conseil des Etats.

H+ soutient les efforts du Parlement en ce sens, mais elle avertit qu’il ne suffit pas d’accepter et de mettre en œuvre des motions. Il est tout aussi important que la Confédération et les cantons améliorent substantiellement les conditions-cadres numériques et financières. Priorité devrait aller à l’optimisation du bénéfice pour les fournisseurs de prestations et à l’allègement de leurs tâches administratives. C’est ainsi seulement que la digitalisation déploiera son plein effet et apportera une valeur ajoutée au système de santé.

Les outils numériques gagnent rapidement en importance dans la prévention, le diagnostic, le soutien thérapeutique et le suivi des maladies. Avec le nombre croissant de patients atteints d’affections chroniques, la collaboration interprofessionnelle, tributaire de ces outils, prend de plus en plus de poids. Il est dès lors indispensable de renforcer les compétences numériques du personnel de la santé. H+ est favorable à l’approbation de la motion Silberschmidt qui veut charger le Conseil fédéral de réviser les bases légales afin que les compétences nécessaires à la pratique professionnelle dans le domaine de la transformation numérique soient enseignées au cours de la formation de base, de la formation postgrade et de la formation continue des professionnels de la santé.

L’ordonnance électronique est essentielle pour le DEP
L’ordonnance électronique présente différents avantages. Grâce à des exigences élevées en matière de sécurité et pour l’identification ou l’authentification des fournisseurs de prestations et des patients, elle permet d’exclure les falsifications et la remise à plusieurs reprises des produits prescrits. Comme elle est aussi plus lisible, elle réduit par ailleurs le risque d’erreurs de médication et les coûts qu’elles entraînent. Enfin, elle améliore la sécurité des patients. En tant que partie intégrante d’un plan de médication à long terme, l’ordonnance électronique offre en outre la possibilité de renforcer l’utilité du dossier électronique du patient (DEP) dans les réseaux de fournisseurs de prestations.

Une rapide intégration de l’ordonnance électronique dans le DEP serait utile aussi bien aux patientes et aux patients qu’aux fournisseurs de prestations. Elle favoriserait la généralisation du DEP. A cet égard, la motion Sauter doit être considérée comme un complément important aux activités actuelles de la Confédération visant à promouvoir la numérisation dans le secteur de la santé. Elle indique aussi clairement la direction que devront prendre les révisions prévues de la loi sur le dossier électronique du patient: c’est l’intérêt pour les utilisateurs – professionnels et institutions – qui devra guider les travaux.

Kristian  Schneider

Kristian Schneider

Vice-président, CEO du Centre hospitalier Bienne

Spécificités liées au sexe

La recherche médicale doit davantage tenir compte des femmes

Le Conseil fédéral devrait encourager la recherche en médecine intégrant une approche genre, en particulier pour ce qui concerne la situation des femmes. H+ recommande d’accepter une motion dans ce sens.

En raison des spécificités biologiques, certaines maladies présentent des symptômes différents selon le sexe. Sans parler des maladies qui touchent exclusivement les femmes, telles que l’endométriose ou le lipœdème. La commission de la santé du Conseil national (CSSS-CN) demande en conséquence au Conseil fédéral de prendre les mesures suivantes (motion 22.3868):

  • lancement d’un programme national de recherche dédié à la médecine intégrant une approche genre;
  • prise en considération du critère du genre comme condition d’octroi de contributions financières par le Fonds national suisse;
  • augmentation sensible des recherches dédiées aux problèmes et maladies qui touchent spécifiquement ou surtout les femmes.

La recherche fondamentale sur les cellules n’intègre que 5% de cellules de femmes. En conséquence, les résultats ne mettent pas en évidence les différences liées au sexe. Les essais cliniques de médicaments se font également sur des femmes depuis quelques années seulement. Auparavant, ils ne portaient que sur des sujets masculins.

Il apparaît que les médicaments n’ont pas forcément les mêmes effets sur les deux sexes biologiques. Les femmes encourent un risque accru de subir des effets secondaires dommageables et de ne pas être soignées correctement en cas de maladie d’Alzheimer, de cancer, d’attaque cérébrale, de dépression ou de maladie cardiovasculaire.

Les soins de santé en Suisse devraient pourtant être de qualité équivalente que l’on soit une femme ou un homme. Il convient donc d’orienter la recherche en conséquence.

Nadine  Akikol

Nadine Akikol

Responsable technique Politique de la santé et droit de la santé

Nouveaux modèles de travail

Travailler moins pour le même salaire dans le secteur des soins: une illusion?

Les modèles de réduction du temps de travail sans baisse de salaires sont d’actualité. L’exemple du GZO Spital Wetzikon montre néanmoins que de telles mesures appliquées au secteur des soins infirmiers ne peuvent pas être financées à long terme dans le contexte tarifaire en vigueur.

La motion 23.3226 issue des rangs socialistes demande au Conseil fédéral de prendre des mesures pour réduire le temps de travail à moyen terme et de prévoir une compensation salariale intégrale pour les bas et moyens salaires. Cet objet est au programme de la session d’été du Conseil des Etats (conseil prioritaire). Plus spécifiquement, les nouveaux modèles de travail sont aussi au centre du second volet de la mise en œuvre de l’initiative populaire «Pour des soins infirmiers forts».

Travailler moins à salaire égal
Le GZO Spital Wetzikon tente l’expérience depuis l’été 2022 pour les soignantes et les soignants travaillant en trois équipes: leur temps de travail a été réduit de 10%, ramenant à 37,8 heures le poste à plein temps pour le même salaire. Les tournus sont toujours calculés sur une base de 42 heures, mais les temps de repos et les jours de congé ont été augmentés.

Après près d’une année, des effets positifs sont notables. Les soignantes et les soignants ont été soulagés et plutôt que de recourir à du personnel temporaire peu rodé et coûteux, l’accent a pu être mis sur les engagements fermes. L’hôpital parvient aussi à convaincre davantage de soignants à travailler à 90% plutôt qu’à 80%. Enfin, les absences pour cause de maladie et les démissions sont en recul et la satisfaction au travail est en hausse. L’Université de Berne se charge du suivi scientifique de ces mesures.

Le grand «mais»
«Ce modèle relativement onéreux est une mesure immédiate de concrétisation de l’initiative sur les soins infirmiers. De nombreux établissements ont fait preuve d’une semblable créativité. L’inconvénient, selon moi, est que les véritables responsables sur la scène fédérale tardent encore plus à poser les jalons nécessaires», avance Matthias P. Spielmann, CEO du GZO Spital Wetzikon. «Avec les structures tarifaires actuelles et l’insuffisance de financement des hôpitaux à hauteur de 30% en ambulatoire et de 10% en stationnaire, un tel modèle de travail n’est pas tenable à long terme. Notre expérience est limitée à fin décembre 2023. Nous allons examiner avec bienveillance sa poursuite et attendre qu’arrivent bientôt de meilleures solutions politiques», poursuit Matthias P. Spielmann.

Martina  Greiter

Martina Greiter

Rédactrice de Competence pour la Suisse alémanique, responsable technique Baromètre des hôpitaux et cliniques

TARPSY et ST Reha

Le Surveillant des prix calcule des Benchmarks inutiles

TARPSY et ST Reha ne se prêtent pas à un Benchmarking analogue à SwissDRG. Les structures tarifaires de la psychiatrie et de la réadaptation stationnaires ne sont pas suffisamment différenciées pour cela.

Actuellement, ni le tarif TARPSY de la psychiatrie stationnaire, ni celui de la réadaptation, ST Reha, ne se prêtent à un Benchmarking analogue à celui de SwissDRG, rappelle H+ en réaction à deux communications du Surveillant des prix. Ces deux structures ne sont pas suffisamment différenciées pour cela, car ST Reha n’a été introduite qu’en 2022 et TARPSY en 2018. Avant qu’un Benchmarking soit possible, il faut que les structures soient affinées sur la base des données de coûts et de prestations des fournisseurs. Les différenciations de prix sont impératives dans ces deux structures et doivent se fonder sur les coûts de chaque fournisseur de prestations. Des valeurs de Benchmark reposant sur les considérations du Surveillant des prix conduiraient rapidement les institutions psychiatriques et les cliniques de réadaptation à la faillite.

H+ exige un Benchmarking validé scientifiquement 
H+ n’a pas accès aux calculs réalisés par le Surveillant des prix. L’association ne peut donc pas les contrôler. Elle exige qu’à l’avenir soient appliquées des procédures validées scientifiquement, qui prennent en compte les facteurs exogènes sur lesquels les hôpitaux n’ont aucune influence.

Il faut que cessent les coupes claires indifférenciées dans le paysage hospitalier suisse en raison de Benchmarks inéquitables et contraires à la loi, de tarifs qui ne couvrent pas les coûts et de prix qui ne sont pas adaptés au renchérissement. À défaut, la sécurité des soins médicaux sera fatalement menacée.

Christoph  Schöni

Christoph Schöni

Responsable du département Tarifs, membre de la Direction

Loi sur la transplantation

Réviser avec retenue

La révision partielle de la loi sur la transplantation va dans le bon sens. Mais certaines de ses exigences sont problématiques et le projet devrait davantage tenir compte de la banque de données STCS sous l'égide des hôpitaux.

H+ est favorable à la révision partielle de la loi sur la transplantation (23.023) et en particulier à l’exception faite pour l’utilisation de transplants produits à l’interne par les hôpitaux (Hospital Exemption). Toutefois, cette exception ne vaut que «si aucun transplant standardisé ou produit thérapeutique de substitution équivalent autorisé n’est disponible en Suisse». En pratique, néanmoins, l’équivalence d’un tel produit est difficile à évaluer. En conséquence, l’exception devrait également s’appliquer lorsqu’un transplant équivalent est disponible.

Par ailleurs, exiger une évaluation positive supplémentaire des avantages et des risques est problématique selon H+. Lors de décisions thérapeutiques, la pesée des intérêts fait partie du devoir de diligence du praticien et figure dans le code de déontologie médicale. Une analyse formalisée des avantages et des risques et sa vérification dans chaque cas sont donc inutiles. Elles freinent plutôt l’accès rapide à des thérapies vitales.

Prendre en compte la Swiss Transplant Cohort Study (STCS)
Le projet clarifie les tâches de collecte de données pour chaque transplantation, mais il intègre insuffisamment la Swiss Transplant Cohort Study (STCS) des hôpitaux, dont l’objectif principal est justement la récolte de données dans ce domaine. Il est incompréhensible que le projet ne prévoie aucune interaction entre cette importante banque de données et les relevés de la Confédération, comme le Swiss Organ Allocation System (SOAS). Une communication des données entre le SOAS et la STCS est essentielle pour suivre la qualité des transplantations et pour évaluer et améliorer le système d’attribution (SOAS). 

Il en va de même du système prévu en matière de vigilance, qui est approuvé par les hôpitaux. Dans ce cas également, l’inclusion de la STCS permettrait d’éviter des doublons inutiles. La STCS recense des évènements pertinents pour la clinique qui surviennent durant ou après une transplantation d’organe. Elle permet ainsi de documenter des évènements indésirables. Une part des tâches du système de vigilance peut lui être confiée. Mais pour ce faire, il faut introduire dans la loi sur la transplantation une norme de délégation et des mécanismes de financement.

Agnes Nienhaus
Secrétaire générale Médecine Universitaire Suisse