Éditorial

En acceptant l’initiative sur les soins infirmiers en novembre 2021, le peuple suisse a donné mandat au Parlement de créer le cadre légal nécessaire pour former davantage de personnel et améliorer les conditions de travail. En adoptant un contre-projet indirect en juin 2021, le législateur avait déjà prévu une offensive généreuse en faveur de la formation. Cet élément clé doit être maintenant repris en vue de la mise en œuvre de l’initiative. Il est essentiel en effet de mettre à disposition les moyens financiers nécessaires à la formation initiale et continue du personnel infirmier. C’est ainsi seulement que le système de santé pourra attirer davantage de collaboratrices et de collaborateurs.

Concernant l’amélioration des conditions de travail, la marge de manœuvre du Parlement est limitée. Cette avancée ne pourra se concrétiser que si des ressources financières suffisantes sont accordées aux fournisseurs de prestations, dans le contexte éprouvé du dialogue entre les partenaires sociaux.

Frein aux coûts: le contre-projet indirect relève de l’économie planifiée

Comme le Conseil fédéral, H+ rejette l’initiative pour un frein aux coûts déposée par le Centre, mais elle estime que le contre-projet ne convient pas.

La proposition du Centre est insatisfaisante: pour freiner la croissance des coûts de la santé, il est réducteur de se référer exclusivement à l’évolution de l’économie globale et des salaires. H+ partage cette analyse avec le Conseil fédéral, mais elle considère que le contre-projet indirect ne constitue pas non plus une voie à suivre.

Cela reviendrait à abandonner la concurrence régulée à la faveur de l’introduction d’un pilotage de la santé fondé uniquement sur les coûts, centralisé et relevant de l’économie planifiée. Dans le contexte suisse, un tel changement de système mettrait inutilement en péril les soins de santé, qui sont de qualité et innovants, car les objectifs en matière de coûts ne représentent pas un instrument adéquat pour distinguer les prestations justifiées médicalement de celles qui ne le sont pas. Il y a tout lieu de penser que cela favoriserait des prestations peu utiles mais bien rémunérées. À l’inverse, des cas complexes, mal ou pas du tout tarifés, risqueraient d’être redirigés ailleurs ou de ne pas être traités.

Le système des objectifs en matière de coûts va de pair avec une gestion politique du financement. Dans un tel cas de figure, la concurrence ne porterait plus sur la fourniture de prestations de qualité à un prix avantageux, mais sur les bonnes grâces des élus. Avec le contre-projet indirect, des batailles pour la répartition des flux financiers seraient programmées au niveau de la Confédération (attribution de prestations aux blocs de coûts) et des cantons (fixation d’objectifs par bloc de coûts). Il faut s’attendre à ce que ces luttes accentuent encore durablement la fragmentation du système de santé et à ce que les efforts en faveur d’une planification régionale et des soins intégrés transsectoriels soient annihilés. Au lieu de combattre la pensée en silos, elles la renforceront.

H+ propose une alternative à ces deux projets: encourager une évolution structurelle du secteur, dans le sens d’un frein à la hausse des coûts et de la promotion de la qualité. Pour y parvenir, il faudra fixer des incitatifs avec les instruments adéquats, afin de prévenir la fourniture de prestations injustifiées, de limiter ainsi les augmentations de volumes et de favoriser l’économicité. L’évaluation des indicateurs de résultat, la détermination et la mesure de la qualité du diagnostic et de l’indication ainsi que la gestion des processus sont des mesures judicieuses en ce sens.

Initiative du Centre

Les mesures de gestion des coûts seront à nouveau débattues

Le Conseil des États a suivi le National lors de la session d’hiver 2021 et a rejeté les mesures de gestion des coûts par les partenaires tarifaires (art. 47c) figurant au volet de mesures 1b. Mais, suite à une proposition de réexamen de la CSSS-CN, ces mesures seront à nouveau débattues.

Le 14 janvier 2022, dans le cadre d’une proposition de réexamen, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-CN) a décidé de se pencher à nouveau sur les mesures de gestion des coûts par les partenaires tarifaires qui avaient été rejetées de justesse par les deux Chambres. Par la voix prépondérante de son président Albert Rösti, elle est restée cependant sur la ligne des décisions des deux conseils et a recommandé qu’aucune disposition relative aux mesures de gestion des coûts (art. 47c) ne soit reprise dans le volet de mesures 1b. H+ salue cette décision car l’art. 47c fait partie du système d’objectifs de coûts que le Conseil fédéral propose dans le cadre du contre-projet indirect à l’initiative pour un frein aux coûts (art. 54, 54a à 54e P-LAMal). L’art. 47c doit donc être débattu dans ce contexte.

Maintenant que le nouvel art. 46a, qui permet au Conseil fédéral d’intervenir dans les conventions tarifaires, a été repris dans la version corrigée du contre-projet indirect, la relation entre l’art. 47c et ce contre-projet est encore plus évidente au niveau du contenu que cela était déjà le cas dans la version initiale. L’art. 46a ne prend tout son sens qu’en relation avec l’art. 47c. À l’inverse, l’art. 47c est inopérant sans les mesures de correction prévues à l’art. 46a.

Pour ces raisons, H+ recommande de suivre la proposition de la CSSS-CN, soit de retirer l’art. 47c du volet de mesures 1b et de l’intégrer aux discussions sur le contre-projet indirect.

EFAS

Il faut introduire au plus vite le monisme

Le financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires de l'assurance-maladie (EFAS) freinera durablement les coûts et favorisera la qualité des soins. Les contribuables comme les payeurs de primes en profiteront. Ces raisons plaident en faveur d’une introduction rapide de l’EFAS dans le secteur médical.

Une modification de la LAMal doit permettre d’introduire un système moniste (09.528 n Iv. pa. Humbel Näf) et de financer les prestations de santé par une seule source. L’EFAS est la réforme la plus fondamentale de l’assurance obligatoire des soins (AOS) de ces dernières années. Elle est à même d’éliminer les mauvais incitatifs financiers au long d’une bonne partie de la chaîne de soins. Ces incitatifs entravent le transfert vers le secteur ambulatoire et freinent le développement des soins intégrés – ces deux effets entraînent des baisses de la qualité, des coûts inutiles et une prise en charge inadaptée. L’EFAS freinera durablement les coûts et favorisera la qualité des soins. À moyen terme, les économies potentielles atteindront entre 2 et 3 milliards de francs par an. Une introduction rapide de l’EFAS dans le secteur médical constitue maintenant une priorité absolue, comme l’a décidé le Conseil national lors de la session d’automne 2019.

Intégrer sous conditions les soins de longue durée
Même si l’intégration des soins de longue durée n’est pas nécessaire dans l’immédiat, celle-ci serait logique d’un point de vue systémique. Pour l’aide et les soins à domicile ainsi que les établissements médico-sociaux, le financement tripartite a été décidé en 2011: contrairement aux autres prestations AOS, les assureurs maladie, les communes et les bénéficiaires contribuent aux coûts. Cependant, les interfaces actuelles (p. ex. entre les prestations de soins et d’assistance) subsisteraient en dépit de l’EFAS. Cela n’empêchera pas l’intégration des soins de longue durée dans l’EFAS mais cela la rendra plus difficile.

Si une majorité se dégage néanmoins en faveur d’une telle intégration, la transparence des coûts constitue, selon H+, une condition impérative. Jusqu’à présent, les bases de données font défaut (lire le rapport du Conseil fédéral au postulat 19.3002) et une éventuelle intégration des soins de longue durée dans l’EFAS nécessite de faire la lumière sur les coûts à la charge de l’AOS.

Pour H+, il n’est pas fondamentalement nécessaire, à l’heure actuelle, d’étendre à une organisation tarifaire pour les soins de longue durée l’art. 47a LAMal adopté dans le cadre du premier volet de mesures visant à maîtriser les coûts. En effet, l’EFAS doit être d’abord introduit dans le domaine médical. Si l’intégration des soins de longue durée dans l’actuel projet d’EFAS devait être susceptible de réunir une majorité, il conviendrait de veiller, selon H+, à ce que les cantons ne soient toujours pas considérés comme des partenaires tarifaires, mais qu’ils soient impliqués de manière équilibrée. Indépendamment de ces considérations, il est de l’intérêt des fournisseurs de prestations et des assureurs maladie d’aboutir aussi rapidement que possible à la transparence des coûts dans le domaine des soins de longue durée. Une base de données solide permettrait, dans un second temps, au Conseil fédéral de lancer une discussion approfondie sur l’intégration de ce domaine.

Article constitutionnel

Mettre en œuvre l’initiative sur les soins infirmiers conformément aux besoins de la pratique

Après l’acceptation claire de l’initiative sur les soins infirmiers à l’automne 2021, il incombe au Conseil fédéral et au Parlement de la mettre en œuvre en tenant compte des besoins de la pratique.

Le 28 novembre 2021, 61% des citoyens et presque tous les cantons ont approuvé l’initiative sur les soins infirmiers. Afin de concrétiser ce nouvel article constitutionnel, le Conseil fédéral doit maintenant présenter un projet de loi que le Parlement devra voter dans un délai de quatre ans. En parallèle, le gouvernement dispose de 18 mois pour édicter des dispositions transitoires.

Le Conseil fédéral entend mettre en œuvre l’initiative en deux étapes. Dans un premier temps, le contre-projet indirect sera repris tel quel et sans consultation. Ce paquet comprend la campagne en faveur de la formation et l’élargissement des compétences du personnel infirmier. En revanche, les revendications en termes de conditions de travail et de rémunération impliquent des clarifications plus poussées, selon le Conseil fédéral.

Pour H+, les conditions cadres financières et tarifaires seront décisives, au final, pour améliorer les conditions de travail. Tant que les tarifs ne couvriront pas suffisamment les coûts des prestations fournies de manière efficiente – comme c’est le cas aujourd’hui dans le domaine stationnaire et, davantage encore, dans l’ambulatoire – tous les efforts visant à appliquer l’initiative sur les soins infirmiers seront voués à l’échec.

Stefan  Berger

Stefan Berger

a.i. Responsable du département Politique de la santé
Membre de la Direction

Transformation numérique

La santé a du retard à rattraper

En Suisse, le secteur de la santé est à la traîne en matière numérique. Des progrès doivent être faits rapidement.

La motion 21.3957 «Transformation numérique dans le système de santé. Rattraper enfin notre retard!» charge le Conseil fédéral de faire avancer la transformation numérique dans le système de santé. L’auteur du texte, le conseiller aux États Erich Ettlin, préconise de se fonder sur les résultats obtenus par les systèmes de santé qui ont été numérisés avec succès dans d'autres pays de l'OCDE. Le gouvernement doit notamment prendre les mesures suivantes:

  • instituer un groupe de travail pour diriger sur le plan national la numérisation du système de santé;
  • élaborer en collaboration avec les acteurs pertinents une stratégie numérique concrète et exhaustive pour le secteur de la santé; cette stratégie ira plus loin que le dossier électronique du patient;
  • encourager la concurrence sur les standards techniques et susciter des idées dans le respect des principes de l'interopérabilité et de la collecte unique des données;
  • encourager la formation et la formation continue des spécialistes des domaines des technologies de l'information, des sciences naturelles et de la santé publique et de leurs domaines de convergence.

H+ soutient les revendications de la motion. En matière numérique, la Suisse est à la traîne en comparaison internationale. Les expériences faites durant la crise actuelle et le mauvais classement du pays dans les rankings, tels que l’indice comparatif de santé numérique établi par la fondation Bertelsmann (14e sur 17) en témoignent.

En finir avec les données en silos!
Le retard à rattraper en matière de numérisation est aussi l’objet de la motion 21.3021 de la CSEC-CN «Création d’un écosystème intégré de données médicales. Une plus-value pour la recherche et la société». H+ la soutient également dans le cadre de l’alliance «Transformation numérique dans les soins de santé».

Il manque, en Suisse, un écosystème fonctionnel de données relatives à la santé. Actuellement, les données médicales sont en silos. Elles ne peuvent être mises en réseau et ne sont donc pas utilisables. Leur potentiel reste inexploité – pour les patients, la société, le pôle industriel et la recherche.

Le Conseil fédéral rejette la motion 21.3021 en arguant que plusieurs mesures sont déjà en cours. Ces pièces du puzzle sont importantes mais ne couvrent que des aspects partiels d’un écosystème de données intégré. Il faut une procédure globale pour une stratégie cohérente. H+ est donc favorable à ce que la motion charge le Conseil fédéral à instituer un groupe de travail interdisciplinaire et à faire appel au savoir des expert-e-s pour préparer avec eux un plan concerté de mesures pour un écosystème de données médicales.

Système tarifaire

Le projet de forfaits pour l’ambulatoire est en route

Avec la soumission pour vérification de la structure tarifaire de forfaits pour l’ambulatoire en décembre 2021, les partenaires réunis au sein de l’organisation tarifaire commune ont franchi une étape importante. Au cours des mois à venir, la structure doit être encore perfectionnée et finalisée avant d’être prête pour l’approbation par le Conseil fédéral.

En décembre 2021, les partenaires de solutions tarifaires suisses SA ont envoyé une première version de la structure tarifaire de forfaits pour la médecine ambulatoire au Conseil fédéral pour un premier examen. Sur la base du rapport détaillé que l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) doit dresser, comme il l’a fait pour la première version de TARDOC, le système tarifaire de forfaits pourra être finalisé en vue de son approbation.

Développement au cours des mois à venir
Le rapport d'examen de l’OFSP va servir de base pour les optimisations à venir. Mais les membres de H+ sont aussi directement impliqués dans ce processus par leurs remarques et leurs observations ainsi que par les données actuelles de coûts et de prestations qu’ils fournissent.

En dépit d’un agenda sportif, le projet est en marche. Pour H+, une introduction en parallèle de TARDOC et des forfaits pour l’ambulatoire est essentielle. C’est ainsi que sera respectée la volonté du législateur d’introduire des forfaits ambulatoires dans l’ensemble du pays, de créer la transparence et d’optimiser autant que possible les coûts élevés d’implémentation et d’exploitation.

Une entrée en vigueur parallèle et coordonnée des deux structures tarifaires au 1er janvier 2024 permettra d’appliquer TARDOC à titre subsidiaire pour les prestations qui ne peuvent être représentées par des forfaits. Nous franchirons ainsi une étape vers un système tarifaire moderne. H+ invite tous les partenaires tarifaires à discuter, toujours dans un esprit de compromis, toutes les propositions de coordination qui ont été soumises.

Dorit  Djelid

Dorit Djelid

Cheffe du département Communication, directrice adjointe, membre de la Direction