Éditorial

Après des années de faible inflation, la Suisse fait face depuis 2021 à un renchérissement croissant qui s’est stabilisé en été 2022 à 3,5%. La branche hospitalière n’est pas épargnée par ce niveau élevé de hausse. D’une part, les marchandises et l’énergie ont pris l’ascenseur, de l’autre, les revendications salariales se sont durcies. Ces dernières années plus que jamais, le personnel de la santé a été fortement sollicité et aurait mérité une compensation du renchérissement et des adaptations salariales.

Mais si les autres secteurs et entreprises peuvent adapter les prix de leurs produits et de leurs services, les hôpitaux et les cliniques doivent financer les augmentations de salaires par des modifications des tarifs de leurs prestations. Or ces tarifs sont déjà trop bas depuis des années: dans le secteur ambulatoire, ils devraient être 30% plus élevés pour couvrir les coûts. Et dans le stationnaire, 10%. En d’autres termes, les hôpitaux et les cliniques ne rentrent pas dans leurs frais.

La situation chroniquement délicate des hôpitaux est aggravée par les adaptations au renchérissement couplées avec les mesures urgentes d’amélioration de la situation des soignant-e-s, telles qu’exigées par l’initiative sur les soins infirmiers. À cela s’ajoute encore la pénurie de main-d’œuvre, qui entraîne également des coûts supplémentaires. C’est dire si les augmentations de salaires dans la branche ne pourront se faire que si les tarifs sont revus à la hausse.

Werner  Kübler

Werner Kübler

Vice-président de H+, directeur de l’Hôpital universitaire de Bâle

La crise s’aggrave

Les hôpitaux sont pris en tenaille entre l’inflation et la pression sur les prix. La seconde étape de la mise en œuvre de l’initiative sur les soins infirmiers pourrait apporter un peu de répit – mais elle est encore dans les limbes.

L’inflation est là. En août 2022, le renchérissement était de 3,5% par rapport au même mois de l’année précédente. Les syndicats réclament des hausses de salaire de 3 à 5%. Ce qui permettrait de compenser l’augmentation du coût de la vie et contribuerait à une évolution positive de l’économie. En outre, la croissance des coûts de la santé doit rester supportable. Pour ce secteur, Travail.Suisse revendique des améliorations structurelles avec des hausses de salaire de plus de 5%. Parallèlement, il est prévisible que le monde politique accentue encore la pression sur les coûts du secteur de la santé. Autant dire que la situation des hôpitaux déjà chroniquement tendue va encore se compliquer. Ce qui ne laisse guère de marge de manœuvre dans le cadre des négociations tarifaires. L’épreuve sera douloureuse pour le partenariat social.

L’initiative sur les soins infirmiers pourrait apporter un peu de détente dans ce domaine-là au moins. Mais si les perspectives sont bonnes pour la mise en œuvre de la première étape – l’offensive en faveur de la formation devrait être approuvée cette année encore – la seconde étape n’est pas pour demain. Elle concerne les conditions de travail et la rémunération des prestations infirmières. En d’autres termes: l’argent. Même si de bonnes solutions devaient être trouvées un jour, elles ne feraient au mieux que mettre un peu de baume à un financement de la santé mal en point dans l’ensemble. Elles n’entraîneraient pas un rétablissement durable. Nous nous sommes longtemps voilé la face, mais la crise aiguë qui s’annonce nous rappellera dans la douleur que les actuels instruments de financement ont bel et bien fait leur temps.

Initiative sur les soins infirmiers

L’offensive en faveur de la formation en soins est urgente

Après le plébiscite de l’initiative sur les soins infirmiers en automne 2021, il appartient au Parlement de mettre en œuvre en priorité l’offensive en faveur de la formation. Et cela sans attendre.

Le 28 novembre 2021, le peuple a voté à 61% en faveur de l’initiative sur les soins infirmiers. Presque tous les cantons ont dit oui également. Le Conseil fédéral a présenté un projet de loi (20.004) pour l’application du nouvel article constitutionnel. Le Parlement doit l’adopter au cours de ces trois prochaines années. Dans le même temps, le Conseil fédéral a jusqu’au printemps 2023 pour édicter des dispositions transitoires.
Le gouvernement veut mettre en œuvre l’initiative en deux étapes. Dans un premier temps, le contre-projet indirect doit être repris sans modification ni nouvelle procédure de consultation. Il porte sur l’offensive en faveur de la formation et sur l’extension des compétences du personnel infirmier (facturation directe de prestations aux caisses maladie). En revanche, le Conseil fédéral estime que les revendications portant sur les conditions de travail adaptées aux exigences et sur la rémunération appropriée nécessiteront davantage de temps.

H+ favorable à la procédure en deux étapes
Compte tenu de l’urgent besoin de main-d’œuvre dans le domaine des soins, le Parlement doit mettre en œuvre sans attendre l’offensive en faveur de la formation qui prévoit des contributions allant jusqu’à un milliard de francs. Il s’agit également d’inscrire dans la loi les besoins en soins des personnes atteintes de maladies complexes et de celles qui nécessitent des soins palliatifs.
H+ estime que l’amélioration des conditions de travail dépendra en définitive du cadre tarifaire et financier. Tant que les tarifs ne couvriront pas les coûts des prestations fournies de manière efficiente – c’est en particulier le cas en ambulatoire, mais également en stationnaire – tous les efforts en vue d’une mise en œuvre complète de l’initiative sur les soins infirmiers resteront vains.

Stefan  Berger

Stefan Berger

a.i. Responsable du département Politique de la santé
Membre de la Direction

Pilotage des coûts

Objectifs en matière de coûts: de gré ou de force

Dans son projet relatif à l’initiative «Pour un frein aux coûts», qui diffère du contre-projet du Conseil fédéral, le Conseil national maintient les interventions contraires au système. Ce faisant, il va à l’encontre du nouveau départ dans le domaine tarifaire suisse pourtant souhaité par le Parlement lui-même.

A l’heure où nous publions ces lignes, la proposition définitive de la CSSS-CE concernant l’initiative «Pour un frein aux coûts» et le contre-projet indirect n’est pas encore connue. Opposée au projet actuel, H+ avance néanmoins des arguments généraux indiquant l’orientation à suivre.

Lors de la session d’été 2022, le Conseil national s’est lui aussi prononcé en faveur de la fixation dans la loi d’objectifs de maîtrise des coûts et n’a pas suivi les recommandations de sa commission. Le Conseil fédéral devrait, contrairement à sa propre proposition et après avoir entendu tous les acteurs, déterminer des objectifs quadri-annuels en matière de coûts et de qualité et les surveiller au moyen d’un monitoring (art. 54 ss. LAMal). Une autre divergence par rapport à la version du Conseil fédéral est introduite: en cas de dépassement des objectifs en matière de coûts ou de non-respect de ceux qui portent sur la qualité, aucune mesure de correction n'est prévue. La Chambre basse renonce à préciser concrètement ce qui doit se passer dans de tels cas.
Enfin, le Conseil national a abandonné le concept des catégories de coûts par canton et par groupe de fournisseurs de prestations. H+ s’en réjouit, estimant que de telles catégories conduiraient à une fragmentation supplémentaire du paysage sanitaire, au lieu de renforcer l’intégration. La direction prise va dans le sens d’un assouplissement des objectifs en matière de coûts et de davantage de qualité. Cette approche doit absolument être soutenue et poursuivie par la Chambre des cantons lors de la présente session d’automne.

Pas d’interventions dans les structures tarifaires et les conventions
En revanche, le Conseil national maintient les interventions, contraires au système, dans les structures et les conventions tarifaires. Avec l’art 46a LAMal ajouté après la consultation, l’autorité d’approbation – à savoir, selon le tarif, le Conseil fédéral ou le canton – pourra intervenir dans les conventions tarifaires. Grâce à cette disposition, le gouvernement pourra contraindre les partenaires à modifier les conventions, même indépendamment d’éventuels objectifs en matière de coûts, s’il estime qu’elles ne correspondent plus au principe d’économie et à l’équité (art 46 al. 4 LAMal). Le Conseil fédéral aura donc tout loisir d’intervenir concrètement dans les conventions pour imposer les objectifs et la neutralité des coûts, quand bien même plus aucun automatisme n’est désormais prévu.

Avec cet art. 46a LAMal, le Conseil fédéral tente d’introduire une norme étrangère à la matière, dont la portée n’est pas dûment thématisée dans le message. Cet article n’est lié que superficiellement aux art. 54ss LAMal. En réalité, il constituerait un blanc-seing à des interventions massives dans le partenariat tarifaire, qui passerait complètement à l’as. Non seulement cela ferait fi des efforts des partenaires pour créer une organisation nationale et torpillerait l’élaboration des forfaits ambulatoires, mais le respect de la conformité légale des tarifs serait remis en question.

En bref, le Parlement entraverait le nouveau départ qu’il appelle pourtant de ses vœux. Et cela juste au moment où souffle un vent d’optimisme avec le rapport d’analyse de l’Office fédéral de la santé publique sur les forfaits ambulatoires et avec la table ronde des partenaires convoquée par le conseiller fédéral Alain Berset.

Structures tarifaires

Secteur ambulatoire: de la lumière au bout du tunnel

Ces dernières semaines, une lueur d’espoir est apparue dans les ténèbres du secteur tarifaire de l’ambulatoire en Suisse. Aux partenaires de passer maintenant à la mise en œuvre!

Une nouvelle base légale, un postulat de la Commission de la santé et un courrier du président de la Confédération – tels sont les jalons qui vont déterminer la poursuite du développement des structures tarifaires pour l’ambulatoire. Lors d’une table ronde réunissant les partenaires le 22 août 2022 à l’invitation du conseiller fédéral Alain Berset, des questions ont pu être posées pour élucider certains aspects. Les différents points de vue ont ainsi pu être rapprochés.

Sous l’égide de l’Organisation tarifs médicaux ambulatoires SA, les partenaires tarifaires doivent maintenant retravailler, finaliser et réunir TARDOC et les forfaits ambulatoires en un système cohérent qui réponde aux critères d’approbation. Ils doivent pour ce faire tenir compte des deux rapports d’analyse de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). L’objectif consiste à soumettre en commun, d’ici à la fin 2023, le résultat de ces travaux reposant sur des données de coûts et de prestations.

La tournure des évènements est réjouissante. Elle constitue les prémices d’un renouveau du secteur tarifaire.

Organisation tarifaire

Organisation tarifs médicaux ambulatoires (OTMA)

OTMA – nous allons rapidement nous habituer à ce nouvel acronyme, car cette organisation sera appelée à jouer un rôle central dans le développement et la maintenance des structures tarifaires du secteur ambulatoire ces prochaines années.

De toutes les mesures présentées par le Conseil fédéral afin de maîtriser la hausse des coûts de la santé, le volet 1a a rencontré la plus forte approbation ou, pour l’exprimer plus prudemment, la plus faible opposition. Dans ce cadre, la création d’une organisation tarifaire nationale pour les tarifs ambulatoires a été relativement vite adoptée. Ce n’est pas étonnant, sachant que cette nouvelle entité sera calquée sur le modèle de SwissDRG SA, une société dont l’évolution est une réussite. Elle a démontré on ne peut plus clairement les avantages d’une structure tarifaire évolutive, qui repose sur des données de coûts et de prestations. SwissDRG SA est parvenue, depuis ses débuts, à présenter chaque année une structure tarifaire révisée, à même d’être approuvée. Qui n’a pas rêvé de transposer la recette au secteur tarifaire de l’ambulatoire, enlisé depuis des années? Ces rêves sont en passe de se réaliser aujourd’hui avec la fondation imminente de l’Organisation tarifs médicaux ambulatoires SA (OTMA)!

«Formule magique» pour le conseil d’administration
La première tâche de l’OTMA consistera à finaliser le tarif à la prestation TARDOC et les forfaits ambulatoires sur la base des deux rapports d’analyse de l’OFSP jusqu’à ce qu’ils satisfassent aux critères d’approbation. Un groupe de projet placé sous la conduite avisée du conseiller d’État bernois Pierre-Alain Schnegg a élaboré les documents en vue de la fondation de l’OTMA. Ce groupe était composé de représentants des partenaires tarifaires et bénéficiait de l’accompagnement de juristes avertis.

Cependant, ce ne sont pas les questions juridiques qui ont constitué la pierre d’achoppement, mais bien la composition du conseil d’administration. Pour parvenir au but, il a fallu trouver une «formule magique», sous la forme d’un savant équilibre entre les représentants des fournisseurs de prestations et des assureurs, ainsi qu’entre les artisans du TARDOC et ceux des forfaits ambulatoires.

Les conditions sont ainsi réunies pour une collaboration entre les partenaires constructive et sans blocage. Les modalités du transfert des organisations existantes que sont ats-tms SA (TARDOC) et solutions tarifaires suisses SA (forfaits ambulatoires) dans la nouvelle OTMA sont en cours de négociation.

Qualité

Convention de qualité: le monde hospitalier attend le feu vert de Berne

Les hôpitaux et les cliniques sont dans les starting-blocks pour mettre en œuvre la convention de qualité qui a été soumise au Conseil fédéral par H+, santésuisse et curafutura afin de remplir les conditions fixées par la Confédération. La branche attend avec impatience que tombe la décision du gouvernement sur cette convention déposée en mai 2022.

Les hôpitaux et les cliniques sont unis derrière la convention de qualité remise au Conseil fédéral par H+ et les fédérations d’assureurs. Les préparatifs à la mise en application de ce texte et du concept national de développement de la qualité vont bon train. Lors d’une manifestation nationale organisée pour les membres de H+ le 31 août 2022, l’avancement des travaux a été présenté aux établissements, qui attendent avec impatience le feu vert de la Confédération. La convention entrera en vigueur avec l’approbation par le Conseil fédéral et cela pour une durée illimitée. Si l’exécutif ne donnait pas son aval, il ne ferait pas que rejeter une convention d’avenir soutenue par 82% des hôpitaux et des cliniques, il remettrait aussi en question les travaux des partenaires à la convention. Les négociations entre les fournisseurs de prestations et les assureurs ont pris trois ans et l’Office fédéral de la santé publique a été constamment tenu au courant.

Avec l’entrée en vigueur de la convention, les hôpitaux et les cliniques seront tenus de mettre en œuvre des éléments leur permettant de développer de manière obligatoire, documentée et transparente la qualité dans le sens d’un cycle d’amélioration continue PDCA. H+ coordonne actuellement déjà les travaux dans le cadre de la procédure de validation des mesures d’amélioration de la qualité. Jusque-là, la fondation Sécurité des patients Suisse, Swissnoso ainsi que des hôpitaux et des cliniques, entre autres, ont soumis leurs programmes d’amélioration de la qualité. La Commission technique de H+ en a déjà validé une première série sur le plan technique.

La remise au Conseil fédéral, une étape importante
Le 6 mai 2022, une étape importante a été franchie pour la qualité et la sécurité des patients dans les hôpitaux et les cliniques. H+, santésuisse et curafutura ont remis au Conseil fédéral, en partenariat avec la Commission des tarifs médicaux (CTM), la convention de qualité exigée par la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal). Cette convention est un accord national sur un vaste panel de règles en vue du développement de la qualité. De nombreuses activités qualité déjà en œuvre y sont prises en considération et des initiatives existantes ou futures pourront être intégrées sans problème.

Pascal  Besson

Pascal Besson

Responsable du département Gestion économique et Qualité, membre de la Direction

Financement

Introduire enfin l’EFAS – avec les soins infirmiers

Il faut d’urgence concrétiser le financement uniforme des prestations de santé (EFAS). Et y inclure à terme, mais dans un délai déterminé, les soins infirmiers.

L’EFAS est la réforme la plus fondamentale de l’assurance obligatoire des soins ces dernières années. Le financement uniforme devrait permettre de balayer la plupart des incitatifs indésirables qui font actuellement obstacle au transfert de prestations du stationnaire à l’ambulatoire et freinent le développement des soins intégrés. Les conséquences de cette situation sont connues: perte de qualité, coûts supplémentaires inutiles et soins inadaptés. L’EFAS est synonyme de maîtrise durable des coûts tout en favorisant la qualité des soins de santé.

Il y a trois ans déjà, le Conseil national a approuvé l’EFAS, mais a limité son champ d’application au domaine médical. Or le financement uniforme ne pourra déployer ses effets que si la réforme inclut les soins (de longue durée). Le Conseil fédéral est favorable à cette extension, mais préconise une mise en œuvre par étapes. Il estime que certaines conditions sont encore à remplir, à commencer par l’amélioration de la transparence des coûts.

Un calendrier ferme s’impose
L’introduction simultanée de l’EFAS dans les secteurs médical et des soins de longue durée mettrait en effet en péril le projet dans son ensemble. C’est pourquoi H+ et les fédérations de soins de longue durée y sont clairement opposées et privilégient une procédure par étapes. Mais cela suppose qu’un délai ferme soit fixé pour l’inclusion des soins infirmiers afin de donner au projet une perspective claire.
Il appartient désormais au Conseil des États d’inscrire l’EFAS dans la loi avec les soins infirmiers et de contribuer ainsi au succès de cette réforme urgente et indispensable.

Stefan  Berger

Stefan Berger

a.i. Responsable du département Politique de la santé
Membre de la Direction